Sur les côtes bretonnes, du porc fermier sans lisier


Souvenez-vous des paroles de Claude Bourguignon : 
S’il est un domaine où la pulsion de mort de l’humanité s’exprime particulièrement violemment c’est bien l’agriculture intensive. On peut se demander pourquoi, après 3000 ans d’équilibre agro-sylvo-pastoral, l’agriculture est-elle devenue une des activités les plus polluantes et les plus destructrices du milieu le plus complexe de la biosphère : Le sol.
Certains paysans reviennent à cet équilibre et c'est une bonne chose. Exemple avec cet élevage de cochons...

Les cultures de l’exploitation nourrissent les porcs, le fumier les enrichit en retour et empêche les catastrophes écologiques causées par le lisier. La Bretagne souffle un peu : sur les côtes malouines, la ferme du Pré Bois élève des porcs de race rustique en plein air, à contre-courant des élevages intensifs.

Eugène et Marie-Annick Baslé, les parents, ont fondé l’exploitation il y a trente ans, à contre-courant de l’élevage intensif porcin. © Christophe Bornet

À l’origine, Eugène a hérité des terres de son grand-père primeuriste. Avec Marie-Annick, son épouse, ils font évoluer depuis trente ans les pratiques de l’élevage porcin. Leurs trois enfants les ont rejoints dans cette aventure artisanale, sur la ferme du Pré Bois. Christophe, ancien maçon — compétence très utile sur une exploitation —, et CAP d’agriculture en poche, seconde son père sur les cultures de l’exploitation. Aurélie, qui était fromagère en bio dans la région nantaise, assure la transformation et pousse l’entreprise familiale vers un fonctionnement toujours plus naturel, tandis qu’Angélique gère la vente à la boutique de la ferme et dans le camion qui sillonne les marchés locaux. Pionnière du circuit court, il y a vingt ans, la famille Baslé a fait le choix de commercialiser sa production en direct.

Sur les 50 hectares de l’exploitation familiale, 10 sont dédiés aux pâturages de l’élevage des cochons en plein air, et 40 sont réservés à la polyculture pour la production de leur alimentation. Nous sommes autonomes à 70 %, explique Eugène. On veut être une exploitation autosuffisante. Les porcs sont nourris sans OGM, avec les cultures de céréales et de légumineuses produites à la ferme (sorgho, blé, maïs et pois). Cette alimentation est complétée par de la graine de lin, excellente pour la santé des bêtes et la qualité de la viande. On fonctionne en agriculture raisonnée sans traitement désherbant, avec des engrais naturels et notre propre fumier. Les maïs sont passés à la bineuse, on utilise les phytosanitaires au compte-gouttes, seulement s’il y a besoin, précise-t-il.

Bientôt, le tracteur ne devra plus circuler dans l’élevage, pour respecter les normes sanitaires. Encore un casse-tête bureaucratique à résoudre… © Christophe Bornet

Nés en plein air puis élevés sur la paille, 900 porcelets sont produits annuellement dans ce cheptel composé de 60 truies et 6 verrats (les mâles reproducteurs). Nos porcs ne reçoivent ni antibiotiques, ni vermifuge, ajoute Marie-Annick, qui souligne avec malice : La Direction départementale des services vétérinaires (DDSV) ne comprend pas comment on peut tenir un élevage sans vaccin ! Contrairement aux élevages conventionnels, aucune maladie n’est ici à déplorer. Dans le conventionnel, les queues des porcs sont coupées, les dents sont limées, ajoute Marie-Annick. De même, la castration des mâles, habituelle dès six jours après la naissance, a été abandonnée depuis longtemps. Les saillies sont naturelles, sans aucune insémination artificielle. Les truies mettent bas, seules, la plupart du temps la nuit. C’est très rare que l’on ait à intervenir pour les naissances. Une fois par an peut-être, une truie a des difficultés et on l’aide avec une piqûre d’ocytocine, précise Eugène.

Les porcelets naissent dans la prairie et jouissent du plein air sous la mère. © Christophe Bornet

La fibre maternelle

Les truies ont été sélectionnées selon leur gentillesse, leur aplomb, leurs qualités maternantes, et les verrats selon leur rusticité. C’est plus de trente ans de recherche, de croisements, pour obtenir des porcs costauds et de qualité, explique Eugène. Il a travaillé la génétique de son cheptel en croisant trois races : Duroc, d’origine bretonne, rustique et dont la viande est tendre et persillée ; Piétrain, d’origine belge, aux jambons bien rebondis ; et Large White, de bonnes mères attentionnées aux carcasses plus longues. Je garde les cochettes [les femelles n’ayant pas encore eu de portée, NDLR] les moins nerveuses, les plus calmes. Je les garde tant qu’elles font des petits, jusqu’à la ménopause, pendant une dizaine d’années. En industriel, elles vivent deux ou trois ans seulement, poursuit-il.

Après la naissance au grand air et le premier mois à gambader dans les prés, les porcelets sont sevrés et quittent leur mère. Ils rejoignent alors un grand bâtiment clos de haut volume, aéré, et grandissent ensemble, sur la paille. Contrairement à l’élevage sur caillebotis préconisé par les normes européennes, l’élevage sur paille apporte aux cochons le confort, le jeu, la chaleur. Sur la paille, ils ont un meilleur comportement : ils jouent ensemble, ils fouillent… Cette activité préserve leur instinct naturel de fouisseurs et évite qu’ils se mordent ou ne se blessent, remarque Marie-Annick. Dans un bâtiment industriel, les porcs sont isolés individuellement dans des petites cases, dénonce Eugène. Ils ne peuvent pas bouger, on leur met « un jouet » pour les occuper. L’ammoniaque pique les yeux, il fait noir. Ici, il y a du volume, de la lumière, de l’espace, c’est important pour le bien-être de nos bêtes.

Si l’élevage sur paille favorise le bien-être animal, il évite également le problème du lisier, à l’origine de la pollution des sols et des rivières en Bretagne. © Christophe Bornet
Le fumier assouplit nos terres, retient l’eau comme une éponge, empêche le ruissellement et nourrit nos plantes.

Si l’élevage sur paille favorise le bien-être animal, il supprime également le problème du lisier produit par l’élevage conventionnel intensif, à l’origine de la pollution des sols et des rivières. Les plages bretonnes, envahies par les algues vertes, en sont le dramatique résultat. La riche litière produite par l’élevage sur paille est récupérée pour enrichir les sols de l’exploitation en matière organique. On laisse décomposer notre fumier pendant trois ans sur notre plateforme de 5 000 m², et on l’enrichit avec les déchets de l’exploitation agricole et un apport des déchets verts de la ville de Saint-Malo. Puis on réutilise cet humus naturel sur nos terres, ce qui les assouplit, retient l’eau comme une éponge, empêche le ruissellement et nourrit nos plantes.

Les prairies qui font la particularité de la ferme du Pré Bois sont menacées par les normes drastiques exigées par l’Europe. © Christophe Bornet

Enlisement législatif

Mais ces terres où vivent les cochons et où ils naissent à ciel sont menacées. Pas sûr qu’on puisse continuer dans ces conditions, regrette Eugène. Tout comme l’élevage sur paille, les prairies qui font la particularité de la ferme du Pré Bois plient sous le poids de la réglementation. Les récentes normes européennes imposent que les animaux d’élevage ne soient pas en contact avec d’autres espèces, sauvages ou domestiques. Les enclos extérieurs doivent ainsi être grillagés. Sur la dizaine d’hectares de parcours en herbe, deux seulement ont pu être remis aux normes, avec un investissement au coût très élevé (7 000 € l’hectare). Par défaut, la famille a choisi de réduire son cheptel. Certaines des truies seront confiées à un jeune couple d’éleveurs qui s’installe.

Pas moins pour l’abattoir, soumis aussi aux contraintes législatives. Pour assurer la sérénité de ses bêtes, Eugène a fait le choix d’un abattoir privé dans les Côtes-d’Armor. Nos cochons, ni vaccinés ni castrés, plus vifs et plus lourds que ceux de l’élevage conventionnel, étaient refusés par les abattoirs industriels sous prétexte qu’ils ont été élevés en plein air et sans vermifuge ! Je me lève à 3 heures afin que mes cochons passent les premiers et n’aient pas de stress, je leur parle. C’est important pour moi de les accompagner dans cette dernière étape. Dans les abattoirs industriels, les cochons des exploitations conventionnelles, devenus aveugles et incapables de se déplacer des suites de l’élevage en cages obscures, hurlent et souffrent sur la chaîne robotisée. Une bête, si on la consomme, on doit la respecter, confie Eugène, qui connaît bien l’envers du décor industriel.

Je produisais du cochon industriellement pour le groupement, j’étais pris dans le système. J’avais 160 truies, je payais l’éleveur, l’aliment, le façonnage, et quand je faisais les comptes, il manquait toujours de l’argent, explique-t-il. Poussé par la coopérative, il négocie un prêt pour agrandir son cheptel, puis l’annule auprès de la banque. Dans ces années 1990, il quitte finalement la sphère conventionnelle. Lui et son épouse décident alors de créer un laboratoire de transformation et de se lancer dans la vente directe à la ferme, en réduisant l’élevage à 100 truies. Nos parents ont déplacé des montagnes pour en arriver là, témoigne Aurélie, leur fille aînée.


Aujourd’hui, dans leur laboratoire, la viande issue de la production des cochons est découpée, cuisinée, préparée par l’équipe, une grande famille élargie réunie par la passion du cochon. Sans labellisation : Si je ne cherche pas le label bio, c’est pour éviter l’incidence du prix sur ma viande. Payer les contrôles des inspecteurs et acheter de l’alimentation bio pour les animaux revient très cher, cela augmenterait le prix de nos produits qui ne toucheraient plus que les classes aisées. Notre viande et notre charcuterie sont de grande qualité mais restent accessibles au plus grand nombre. Et de conclure : Plus mes bêtes mangeront sainement, plus les gens mangeront sainement, moins il y aura de problèmes de santé.
Les poitrines roulées ont cuit à basse température toute la nuit et seront fumées sur place, au bois de hêtre. © Christophe Bornet
120 kg de saucisses sont façonnées chaque jour, sans aucun additif, dans le laboratoire de la ferme. © Christophe Bornet

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